Tout commence souvent avec beaucoup d’enthousiasme :
« J’ai vu votre travail ! Ça plairait beaucoup à un industriel que je connais, appelez le de ma part, je suis certain que cela peut déboucher sur une belle collaboration!
Heu…Vous êtes motorisée ? C’est à 120 km de Paris…mais vous y êtes en 1heure par l’autoroute»
Le rendez vous est pris par téléphone quelques jours plus tard, l’interlocuteur semble au courant de l’affaire et résolument cordial.
Afin de bien préparer cette rencontre, j’expérimente les produits sur lesquels travaille l’industriel.
De prime abord, ces denrées alimentaires ultra traditionnelles semblent figées par le temps mais en creusant un peu, une foule d’idées me vient. Je dessine, teste, photographie, goûte : c’est bon, sensé, pas encore vu…un bon début en somme ! Je ne montrerai pas ces recherches tout de suite mais elles me permettront d’argumenter mon discours : oui les produits sont intéressants, oui, il y a des choses à faire.
Je me présente le jour J au Siège du groupe, ordinateur et cahier de croquis sous le bras, des idées à revendre plein la tête.
14h, un homme d’une soixantaine d’années se présente, nous nous installons.
1er round : présentation du groupe de designers dont je fais partie, mes travaux déjà réalisés, l’intérêt et le potentiel réel du design culinaire pour une entreprise agroalimentaire, bref le sermon type pour une évangélisation en terre païenne.
Lui : silence, regard vide puis…
« C’est… intéressant mais voyez vous, votre travail est plutôt axé sur la pâtisserie, or nous sommes des industriels, les procédés de fabrications ne sont pas les mêmes, vous devriez plutôt proposer cela à un pâtissier ou un chocolatier »
Une profonde lassitude m’envahit, l’envie de rabattre l’écran du portable et de prendre congés me traverse l’esprit mais quitte à avoir fait la route pour venir jusqu’ici, autant poursuivre, j’argumente :
2ème round : le design est une discipline transversale, si un designer travaille le bois, il peut aussi travailler le métal ou le plastique, s’il dessine un vase, il sait aussi dessiner un aspirateur…et si je revisite la bûche de Noel , je peux aussi intervenir sur votre produit…
« Ah oui, c’est vrai, mais voyez vous, nous n’avons pas de projets actuellement, et puis nos produits sont traditionnels, voyez vous nous ne faisons pas d’innovation dans notre usine, je travaille beaucoup avec les acquis du passé, tant de belles choses ont été faites par le passé… » (Œil humide)
Botte secrète : je constate malheureusement que la démocratisation du design culinaire au sein des entreprises agroalimentaires n’est pas encore pour aujourd’hui. C’est dommage, j’ai réfléchit à d’autres façons de présenter, appréhender et consommer vos produits, il y a vraiment des choses à faire! Vous avez d’ailleurs commercialisé un produit un peu alternatif, pourquoi ne pas poursuivre dans cette direction ?
L’œil s’éclaire une seconde puis s’éteint de nouveau
« Je ne sais pas si les consommateurs et les distributeurs sont prêts à accueillir la nouveauté, mais laissez moi vos coordonnées et je vous recontacte dès que nous avons des projets.»
14h30 « je ne vous raccompagne pas, vous connaissez le chemin… »
Pas besoin de me raccompagner en effet, je ne connais que trop bien le chemin…Mais il semble que pour certains les voies du design soient bel et bien impénétrables.
Bilan d’une journée comme les autres :
Un aller retour domicile/usine
– 2h30
– 244km
– 26€ de carburant
– 20€ de péage
– 19€80 de cantine et garderie des têtes blondes
Sans parler du fameux impact écologique, d’ailleurs je vous laisse, j’ai une forêt à planter pour ma compensation carbone.